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Chronique 84
16-10-2016

Des abattoirs comme allégorie de notre (triste) monde

 

  

On va dire que c’est une fixette, décidément, cette histoire de « défense » des animaux. Et puis encore remettre sur le tapis cette question des abattoirs. On n’en a déjà assez vu, ces derniers temps, à la télé, non ? Et puis la Syrie, la Syrie, y’a pas assez de guerres, de boucherie, pour en rajouter ? Et c’est quoi cette manie, ce négativisme à l’encontre du monde ? Il est pas beau le monde ? Le soleil se lève pas tous les jours et il suffit pas de sourire à la vie ?

On aimerait. Oui, on aimerait. Mais non. Et c’est pas de la faute de ceux qui dénoncent. Non, c’est parce qu’il y a matière à dénoncer. Et que seuls certains voient, cherchent à comprendre, à démonter le mécanisme du p…. d’engrenage qui nous a foutu dedans. Et que seuls parmi les seuls certains prennent la plume pour essayer de redresser le tir. Pour les animaux. Pour nous. Autant dire pour tous les animaux, pour la vie.

Jacques Damade est de ceux-là. Déjà auteur de deux ouvrages, l’un sur le photographe Jacques Henri-Lartigue et l’autre sur les iles disparues de Paris, voici qu’il nous revient avec un petit livre édifiant, fort bien écrit, sur… les abattoirs de Chicago. A noter qu’il est par ailleurs directeur des Editions de La bibliothèque dont le catalogue fourmille de titres tous plus alléchants les uns que les autres, tantôt sur l’histoire de produits faisant désormais partie de la vie courante, tantôt sur des contrées lointaines comme la Corée (à découvrir sur : http://www.editionslabibliotheque.fr). Voici donc le 3ème volume de la collection « L’ombre animale » qui repose sur la proximité qu’ont, au fond, les hommes avec les autres animaux (ils sont comme notre ombre). Toutefois, ceux-ci sont bien mal payés en retour puisque la cruauté s’accentue à leur encontre, et ceci avec un corollaire nécessaire : l’invisibilité.

Or cette cruauté a une histoire. Bien sûr, à partir du moment où  les espaces sauvages diminuent comme peau de chagrin –c’est le cas de le dire-, les autres espèces disparaissent petit à petit. C’est une forme de cruauté soft. Et puis il y a la hard, celle dont Jacques Damade se charge de nous raconter la genèse à travers l’histoire de Chicago et de ses abattoirs. Pourquoi Chicago ? Parce que beaucoup c’est joué là-bas, dans cette ville des Etats-Unis. Et beaucoup s’est joué en très peu de temps. Beaucoup… mais quoi exactement ? D’abord la construction de ces abattoirs, de plus en plus grands, progressivement déconnectés des saisons grâce à la résolution de questions techniques comme les entrepôts réfrigérés, et à l’inverse toujours plus connectés à de nouveaux marchés. Car plus on produit plus il faut écouler la marchandise. Et plus on écoule de marchandise et plus il faut produire. D’où l’étroite connexion avec le développement des chemins de fer, eux aussi réfrigérés, pour alimenter des villes qui n’en auraient sans ça peut-être pas autant demandé, style New York. Et puis bientôt d’autres continents, l’Europe en tête.

Autant dire naissance, ou plutôt déclinaison carnée, fatalement carnassière, de l’absurde alimenté aux sources du capitalisme et de sa face vorace. En apparence, peu se joue à l’époque. On est aux alentours des années 1850. C’est loin de chez nous. Et pourtant non. Car la conception du monde qui se développe alors, toute faite de « rationalisme », de technologie appliquée sans scrupule au vivant, d’organisation tayloriste des rapports homme-« bêtes »/hommes-hommes s’est depuis déployée sans limite dans le monde. Et le pire, oui le pire, c’est l’absence de limite portée à ce qui n’est pas une malédiction. Non, ce sont bien des hommes, une poignée d’entrepreneurs bien avisés qui sont à l’origine de cet enfer terrestre.

Moralité : ce qui s’est fait peut très bien se défaire. A nous, chacun d’entre nous d’agir pour imposer, oui imposer, une autre vision du monde. Car le libéralisme économique qui traite sans ménagement, au nom du « management », les uns et les autres a bel et bien imposé une vision du monde. Violente. Criminelle. A rebours de la vie, de la moindre éthique et, pour parler capitaliste, de nos propres intérêts. Car jusqu’à nouvel ordre, nos intérêts résident dans notre survie et notre développement, à la fois physique et spirituel. A nous de cesser la dépendance et la soumission vis-à-vis d’une poignée d’irresponsables qui, eux, savent très bien où sont leurs intérêts, les sauvegardent soigneusement, quitte à n’avoir d’eux qu’une conception étroitement matérielle.

Alors comment ? D’abord en lisant d’urgence ce remarquable petit ouvrage au style aussi limpide que lettré, ce qui est somme toute rare. A titre personnel, la lecture de l’introduction m’a stupéfaite et enchantée car la question essentielle est d’emblée posée : « Qu’est-ce que le réel, ou plutôt qu’est-ce que notre réel ? ». S’en suit un passage à la fois délicat et perspicace sur la neige, si blanche et légère, à l’inverse du sujet. On se demande où nous emmène l’auteur. Et puis d’un coup, coup de massue, comme dans un abattoir justement, et ça tombe : l’idée que comme la neige, le monde humain tel qu’il a été modelé par une minorité d’humains est irréfutable. Qu’il appartient à un réel qu’il faut connaître, affronter si l’on veut pouvoir le contester et le changer.

Ensuite, que dire ? On a déjà dit beaucoup dans les chroniques de LocoBio sur les différentes modalités d’action. Je constate avec satisfaction que des brasseries dites « vegan » apparaissent. Que l’on parle de plus en plus de substituts aux protéines animales. C’est une piste, déjà, son mode d’alimentation. On peut aussi soutenir les associations qui défendent la « cause animale ». On peut aller plus loin en changeant son mode de vie et en boycottant systématiquement ce qui implique de l’exploitation animale. Là, j’avoue, c’est pour l’instant très contraignant car tout, dans notre chère culture « moderne », est basé sur l’exploitation animale. Des chaussures en cuir aux virées au zoo pour montrer aux gosses des animaux « en vrai »…

La solution, c’est de consommer moins et, quand il faut renouveler ses pompes, d’essayer de trouver des alternatives, de pourquoi pas se lancer soi-même comme entrepreneur et fabriquer ses propres pompes, celles des autres, les vendre et en vivre dignement. Quant aux loisirs, c’est certainement mieux de se poster dans un marais et d’observer les animaux en liberté que de croire et faire croire que ci, que ça, quand ils sont en captivité.

Vaste programme. Cela suffira-t-il ? Tel est l’enjeu. Telle est la question.

 

 

©Yolaine de LocoBio

Octobre 2016

 

 
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