Des abattoirs comme allégorie de
notre (triste) monde
On va dire
que c’est une fixette, décidément, cette histoire de « défense » des
animaux. Et puis encore remettre sur le tapis cette question des abattoirs. On
n’en a déjà assez vu, ces derniers temps, à la télé, non ? Et puis la
Syrie, la Syrie, y’a pas assez de guerres, de boucherie, pour en
rajouter ? Et c’est quoi cette manie, ce négativisme à l’encontre du
monde ? Il est pas beau le monde ? Le soleil se lève pas tous les
jours et il suffit pas de sourire à la vie ?
On aimerait.
Oui, on aimerait. Mais non. Et c’est pas de la faute de ceux qui dénoncent.
Non, c’est parce qu’il y a matière à dénoncer. Et que seuls certains voient,
cherchent à comprendre, à démonter le mécanisme du p…. d’engrenage qui nous a
foutu dedans. Et que seuls parmi les seuls certains prennent la plume pour
essayer de redresser le tir. Pour les animaux. Pour nous. Autant dire pour tous
les animaux, pour la vie.
Jacques
Damade est de ceux-là. Déjà auteur de deux ouvrages, l’un sur le photographe
Jacques Henri-Lartigue et l’autre sur les iles disparues de Paris, voici qu’il
nous revient avec un petit livre édifiant, fort bien écrit, sur… les abattoirs
de Chicago. A noter qu’il est par ailleurs directeur des Editions de La
bibliothèque dont le catalogue fourmille de titres tous plus alléchants les uns
que les autres, tantôt sur l’histoire de produits faisant désormais partie de
la vie courante, tantôt sur des contrées lointaines comme la Corée (à découvrir
sur : http://www.editionslabibliotheque.fr). Voici donc le 3ème
volume de la collection « L’ombre animale » qui repose sur la
proximité qu’ont, au fond, les hommes avec les autres animaux (ils sont comme
notre ombre). Toutefois, ceux-ci sont bien mal payés en retour puisque la
cruauté s’accentue à leur encontre, et ceci avec un corollaire
nécessaire : l’invisibilité.
Or cette
cruauté a une histoire. Bien sûr, à partir du moment où les espaces sauvages diminuent comme peau de
chagrin –c’est le cas de le dire-, les autres espèces disparaissent petit à
petit. C’est une forme de cruauté soft.
Et puis il y a la hard, celle dont
Jacques Damade se charge de nous raconter la genèse à travers l’histoire de
Chicago et de ses abattoirs. Pourquoi Chicago ? Parce que beaucoup c’est
joué là-bas, dans cette ville des Etats-Unis. Et beaucoup s’est joué en très
peu de temps. Beaucoup… mais quoi exactement ? D’abord la construction de
ces abattoirs, de plus en plus grands, progressivement déconnectés des saisons
grâce à la résolution de questions techniques comme les entrepôts réfrigérés,
et à l’inverse toujours plus connectés à de nouveaux marchés. Car plus on
produit plus il faut écouler la marchandise. Et plus on écoule de marchandise
et plus il faut produire. D’où l’étroite connexion avec le développement des
chemins de fer, eux aussi réfrigérés, pour alimenter des villes qui n’en
auraient sans ça peut-être pas autant demandé, style New York. Et puis bientôt
d’autres continents, l’Europe en tête.
Autant dire
naissance, ou plutôt déclinaison carnée, fatalement carnassière, de l’absurde
alimenté aux sources du capitalisme et de sa face vorace. En apparence, peu se
joue à l’époque. On est aux alentours des années 1850. C’est loin de chez nous.
Et pourtant non. Car la conception du monde qui se développe alors, toute faite
de « rationalisme », de technologie appliquée sans scrupule au
vivant, d’organisation tayloriste des rapports
homme-« bêtes »/hommes-hommes s’est depuis déployée sans limite dans le
monde. Et le pire, oui le pire, c’est l’absence de limite portée à ce qui n’est
pas une malédiction. Non, ce sont bien des hommes, une poignée d’entrepreneurs
bien avisés qui sont à l’origine de cet enfer terrestre.
Moralité :
ce qui s’est fait peut très bien se défaire. A nous, chacun d’entre nous d’agir
pour imposer, oui imposer, une autre vision du monde. Car le libéralisme
économique qui traite sans ménagement, au nom du « management », les
uns et les autres a bel et bien imposé une vision du monde. Violente.
Criminelle. A rebours de la vie, de la moindre éthique et, pour parler
capitaliste, de nos propres intérêts. Car jusqu’à nouvel ordre, nos intérêts
résident dans notre survie et notre développement, à la fois physique et
spirituel. A nous de cesser la dépendance et la soumission vis-à-vis d’une
poignée d’irresponsables qui, eux, savent très bien où sont leurs intérêts, les
sauvegardent soigneusement, quitte à n’avoir d’eux qu’une conception
étroitement matérielle.
Alors
comment ? D’abord en lisant d’urgence ce remarquable petit ouvrage au
style aussi limpide que lettré, ce qui est somme toute rare. A titre personnel,
la lecture de l’introduction m’a stupéfaite et enchantée car la question
essentielle est d’emblée posée : « Qu’est-ce que le réel, ou plutôt qu’est-ce que notre réel ? ».
S’en suit un passage à la fois délicat et perspicace sur la neige, si blanche
et légère, à l’inverse du sujet. On se demande où nous emmène l’auteur. Et puis
d’un coup, coup de massue, comme dans un abattoir justement, et ça tombe :
l’idée que comme la neige, le monde humain tel qu’il a été modelé par une
minorité d’humains est irréfutable. Qu’il appartient à un réel qu’il faut
connaître, affronter si l’on veut pouvoir le contester et le changer.
Ensuite, que
dire ? On a déjà dit beaucoup dans les chroniques de LocoBio sur les
différentes modalités d’action. Je constate avec satisfaction que des
brasseries dites « vegan » apparaissent. Que l’on parle de plus en
plus de substituts aux protéines animales. C’est une piste, déjà, son mode
d’alimentation. On peut aussi soutenir les associations qui défendent la
« cause animale ». On peut aller plus loin en changeant son mode de
vie et en boycottant systématiquement ce qui implique de l’exploitation
animale. Là, j’avoue, c’est pour l’instant très contraignant car tout, dans
notre chère culture « moderne », est basé sur l’exploitation animale.
Des chaussures en cuir aux virées au zoo pour montrer aux gosses des animaux
« en vrai »…
La solution,
c’est de consommer moins et, quand il faut renouveler ses pompes, d’essayer de
trouver des alternatives, de pourquoi pas se lancer soi-même comme entrepreneur
et fabriquer ses propres pompes, celles des autres, les vendre et en vivre
dignement. Quant aux loisirs, c’est certainement mieux de se poster dans un
marais et d’observer les animaux en liberté que de croire et faire croire que
ci, que ça, quand ils sont en captivité.
Vaste
programme. Cela suffira-t-il ? Tel est l’enjeu. Telle est la question.
©Yolaine de LocoBio
Octobre 2016
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