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Cogitations et actions
Chronique 81
11-06-2016

Le 21ème siècle sera antispéciste ou ne sera pas

 

  

         En tout cas, une chose est certaine : il appartiendra à ceux, sera façonné par ceux qui ont d’autres préoccupations que l’Euro de foot et savoir s’il est raisonnable ou non d’amener ses enfants dans une « fan zone » en cette période à « haut risque terroriste ». Assez d’oisiveté aussi stérile que mercantile. Assez de discours alarmistes qui, comme par hasard, alimentent la peur chez nombre de personnes qui auraient bien des motifs pour la transposer et se rebeller. Assez de nivellement par le bas si opposé à une véritable démocratie.

 

Et de démocratie, justement, contre toute attente, il en est question dans l’ouvrage d’Aymeric Caron, Antispéciste. Réconcilier l’humain, l’animal, la nature, paru aux éditions Don Quichotte en avril dernier. Surtout connu pour avoir été chroniqueur dans l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », il l’est aussi, de plus en plus, pour son engagement en faveur de la dite « cause animale ». Sa popularité est particulièrement nette depuis 2013, année de publication de No steak, tiré à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Déjà il défendait l’option végétarienne, option désormais dépassée par son orientation vers le véganisme.

 

Trajectoire intéressante que celle de ce grand et bel homme glissant semble-t-il de la sphère ultra-médiatique à l’écriture plus distanciée au service de convictions de plus en plus nettes. Glissement de l’arrêt de toute consommation alimentaire de chair animale à un essai de ne plus recourir à aucun produit d’origine animale. Elargissement vertigineux de la focale car le bougre aboutit de manière inévitable à une remise en cause radicale. Rappeler que « radical » n’est pas un gros mot, qu’il renvoie littéralement à la racine, aux fondements ; que donc, oui, tout le système actuel, le monde, sa vision, sont ébranlés par une telle réflexion. On le sait : les choix alimentaires ne sont pas anodins. On touche bien vite à toute une économie et, au-delà, à un mode de pensée reposant sur certaines bases. Le nôtre, mondialisé s’il en est, repose ainsi sur l’anthropocentrisme, échec des échecs de la révolution des Lumières au 18ème siècle. Car autant rompre avec la transcendance et une hiérarchie outrancière était une bonne idée. Autant rater le coche de vraiment se recentrer sur l’immanence et notre relation au monde nous est aujourd’hui fatal.

 

D’un côté, on parle de plus en plus d’écologie. De l’autre, certains se préoccupent du sort lamentable réservé aux animaux qui d’élevage, qui de cirque, qui pour l’expérimentation cosmétique, etc… C’est bien. Mais est-ce suffisant ? Non. Pourquoi ? Car les forces d’inertie du système actuel –comme de tout système d’ailleurs- sont immenses. Et aussi parce qu’il manquait un propos reliant ces combats épars. Or l’un des grands mérites de ce volumineux essai (plus de 450 pages) est de proposer une vision globale alternative. Et cette alternative porte un nom, l’antispécisme, ou  refus de discrimination d’un être vivant au motif de son espèce d’appartenance. Il ne s’agit pas de nier l’existence de différences entre espèces mais bien d’inciter l’Homme à habiter pleinement son humanité, c’est-à-dire lui-même et la Terre, en cessant d’exploiter les animaux non humains. Car on rappellera que biologiquement l’Homme est un animal, vérité souvent occultée pour oublier  et ne pas trop être effrayé par sa propre inhumanité.

 

Où il est question de (se) réconcilier, d’élargir notre sphère de considération morale (p.237) à d’autres êtres sensibles. Où il s’agit de « prolonger ces combats pour l’égalité (racisme, esclavagisme, sexisme, homophobie…) des individus en demandant la prise en compte de cette réalité nouvellement admise par les scientifiques (…) : tous les animaux sont des individus qui éprouvent la souffrance et qui ont un droit intrinsèque à la vie. » (p.240). Où il faudra, oui, se poser 5 minutes, enfin peut-être un peu plus et pas que sur une plage cet été, pour (re)trouver une colonne vertébrale avec un peu, un minimum, de morale. Bouh, quel ennui, on l’avait bien dit que l’écologie, c’était barbant… sans compter que c’est dangereux. Car qui dit morale dit réflexion, règles, discipline, maîtrise de soi. Qu’est-ce que c’est que cette histoire, une vraie régression je vous le dis ! Ben oui, on n’est pas bien à jouir de l’orgie actuelle, à se modeler les bourrelets au camping ou au club Med, à coup de barbecue ? On  n’est pas peinard d’avoir largué le clébard, trop encombrant, au mieux à la SPA qui s’en chargera ?

 

Eh oui, la morale… et non, on n’y coupera pas. Ce sera ça ou pas, ou rien, ou poursuivre dans la déshumanisation, dans la déconnection, dans les humains qui, de toutes façons, sont de plus en plus traités comme du bétail. Car elle est où, en réalité, la régression ? Assurément dans des sociétés frustrées de ne plus pouvoir autant consommer –socle sacré de la démocratie libérale-, précaires à outrance faute de penser l’après-croissance et l’après-travail. Aymeric Caron invite à voir les choses frontalement et à dessiner un monde possible, souhaitable, nécessaire, on serait même tenté de dire « hygiénique ». Salut personnel et salubrité publique apparaissent bien mêlés dans cette somme documentée, passionnante, qui fait très certainement déjà date dans le parcours intellectuel et spirituel de son auteur. Et je le pense bientôt dans la réflexion collective hexagonale.

 

Je ne peux donc que vous inviter à l’acquérir. 20,50 euros, c’est peu pour un tel travail de bonne vulgarisation et un projet politique d’envergure. Ou alors l’emprunter en médiathèque. Ou encore le faire acheter pour ensuite l’emprunter. Car il n’y a pas de raison : tant qu’à exister, autant que le « buzz » serve non plus à servir l’inanité des choses mais bien à leur consistance. On serait tenté de dire à leur incarnation si le mot n’avait pas été confisqué à d’autres fins. Où, décidément, il est question de recentrage et de révolution.

 

En résumé, voici 3 bonnes raisons pour dévorer ce pavé :

-       il donne des clefs pour agir, entre diagnostic sans appel ( L’animal assassiné »), un horizon (écologie essentielle et biodémocratie) et des actions concrètes type boycotter les zoos et autres parcs aquatiques à haut potentiel delphinesque, adhérer pour le prix d’une glace même pas bio à des associations courageuses comme L124, l’OABA, One Voice.

 

-       il contient une bibliographie sérieuse et une revue des sites internet pour vous forger votre propre avis et, je l’espère, participer à une lame de fond salvatrice.

 

-       quelques citations en guise de viatique :

« l’Humanité mature est une humanité de la nature », p.365

« L’idéal républicain est une injonction à l’empathie, qui est cette faculté à s’identifier à quelqu’un et à ressentir ce qu’il ressent » (p.310)

« Manger nous maintient en bonne santé, mais peut aussi nous rendre malade, voire nous tuer. Le sujet est beaucoup trop grave pour qu’il soit laissé à des acteurs privés, avides de bénéfices, qui méprisent le bien commun » (p.277)

De Jeremy Bentham, dès le 18ème siècle : « Le jour viendra peut-être où le reste de la création animale pourra acquérir ces droits qui n’auraient jamais pu lui être refusés, sinon par la main de la tyrannie. Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n’est nullement une raison d’abandonner sans recours un être humain au caprice d’un tourmenteur. On reconnaîtra peut-être un jour que le nombre de jambes, la pilosité de la peau ou la terminaison de l’os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sensible au même destin » (p.252)

« L’antispécisme se heurte toutefois à une difficulté qui n’accompagnait pas les autres luttes : il réclame des droits pour des individus qui ne sont pas eux-mêmes en mesure de les exiger » (p.241)

« (…) on comprend pourquoi le seul « vouloir-vivre » a tant de mal à être toléré comme un critère de considération dans une société productiviste qui génère du « vouloir-tuer » à n’en plus finir » (p.173). A ce propos, un petit rappel : 60 milliards d’animaux sont abattus chaque année à des fins de consommation alimentaire pour nourrir… moins de 8 milliards d’humains !

« La souffrance reste la souffrance, quel que soit l’être qui la ressent » (p.164)

Et bien sûr : « L’antispécisme est un nouvel humanisme » (p.217).

 

 

©Yolaine de LocoBio

Juin 2016

 

 
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