Parce qu'eux, c'est nous, « Désobéir
pour les animaux » :
une vérité bonne à dire et à
incarner
Evolution du
statut juridique de l'animal, ferme des 1000 vaches, salon de
l'agriculture... l'actualité rappelle à qui l'ignorerait ou
l'oublierait que « nos amis les bêtes » sont à la fois au
cœur de l'économie et de luttes pour améliorer leur condition. Car
il y a en la matière malheureusement bien à faire. Et pour faire,
rien de tel que se procurer, dévorer et se référer régulièrement
au livre en format poche, accessible au plus grand nombre de par son
prix (5 euros) et son parti pris pédagogique au récent
ouvrage édité par le Passager clandestin : Désobéir
pour les animaux.
Des
livres pour désobéir
Rappelons juste que cette maison
d'édition, fondée en 2007 (comme Locobio!) dans les Pays de la
Loire affiche une ligne éditoriale claire, faite de révolte contre
le monde tel qu'il persiste dans la justice et le vivant mis à mal,
ainsi que la promotion de valeurs et de pratiques alternatives. Cela
commence par un souci pour le livre en tant qu'objet, celui dont il
est ici question, certifié Imprim'vert et PEFC de même qu'imprimé
en Auvergne. Ce souci demeure assez minoritaire parmi les
professionnels de ce secteur d'activité, la routine et les
difficultés économiques fournissant des arguments en faveur de
l'immobilisme. Qui opère différemment mérite donc d'être mis en
avant afin de voir son travail encouragé.
La volonté
d'oeuvrer pour une transformation radicale de la société se traduit
par ailleurs par le développement d'une dizaine de collections et la
publication de, déjà, une centaine d'ouvrages. Le premier d'entre
eux fut, de manière emblématique, une réédition de La
désobéissance civile
de Henry David Thoreau présentée par Noël Mamère. (Rappelons à
ce sujet que la dernière biographie chez Folio de
l'écrivain-philosophe américain a fait l'objet de la précédente
chronique sur le site de LocoBio). Car l'option du capitalisme vert
et des moyens d'action politique traditionnels est clairement écartée
au profit de celle de la décroissance et de nouveaux types de
mobilisation citoyenne. Telle est la raison pour laquelle l'une des
collections-phare, « Désobéir », est dirigée par
Xavier Renou, par ailleurs membre fondateur du collectif « Les
désobéissants » et co-auteur avec des militants de L214 -
association pour une éthique envers les animaux- du présent livret.
L'Homme : un animal
angoissé... et angoissant
L'idée est bien de prendre acte
des rapports de force existants, de leur influence néfaste sur la
planète, et d'agir, chacun à son échelle mais tous ensemble. Elle
est en la matière de renouer avec la culture de la désobéissance
civile et l'action directe non violente pour les animaux qui, faut-il
encore le rappeler, ne sont pas des « autres », à ce
titre exploitables sans vergogne, mais biologiquement des « mêmes »
puisque l'Homme n'est ni plus ni moins qu'un « être
appartenant à l'espèce animale la plus développée, un mammifère
de l'ordre des Primates, seule espèce vivante des Hominidés,
caractérisé par son cerveau volumineux, sa station verticale, ses
mains préhensibles et par une intelligence douée de facultés
d'abstraction, de généralisation, et capable d'engendrer le langage
articulé » (d'après le Larousse).
L'Homme est donc un animal,
certes modelé par l'usage d'une certaine raison, mais il n'en
demeure pas moins un animal... visiblement tourmenté par sa propre
définition (que de pages écrites en philosophie, on se demande
parfois pourquoi, tout ça pour ça, sur le « propre de
l'Homme »), avide de se distinguer à tout prix comme pour se
rassurer lui qui est semble-t-il le seul à savoir qu'il va mourir et
pollue tout le monde avec cette angoisse première. Avide de se
distinguer aussi pour mieux établir une hiérarchie et au passage
copieusement exploiter d'autres êtres vivants. Au fond, le
mécanisme est le même que pour le racisme, le colonialisme et les
phénomènes de domination masculine sur la femme, l'enfant, ou telle
minorité religieuse. Rien de très nouveau, de très exotique, le
« propre de l'Homme », ce serait avant tout cela,
cette formidable et si banale aptitude à utiliser son intelligence à
mauvais escient, pour dissimuler de la malhonnêteté, du pouvoir, du
mépris des autres que soi et certainement du mépris envers soi,
petit être incapable de se débrouiller tout seul dans une Nature
soudain immense, bien immense, trop immense.
Du déjà vu dans l'Histoire
et des chiffres affolants
Telle
pourrait être une version pessimiste de la vie. On se demande qui
peut sérieusement, durablement, s'en satisfaire. Reste alors
l'action. Or celle-ci repose sur l'éducation, donc le savoir en
connaissance de cause. C'est précisément ce à quoi s'emploie ce
court (62 pages), dense et efficace ouvrage sur la « cause
animale ». L'usage des guillemets est de rigueur car, on l'aura
compris, point d'a priori spéciste dans cette recension : il
s'agit bien de notre cause à tous, prenant acte d'une distinction
biologique qui ne peut en revanche fonder aucune suprématie. Comme
les autres (18 au total!) manuels pratiques de cette collection, le
propos est divisé en 4 parties. Le ton est donné dès le début par
quelques citations percutantes du genre : « L'éventualité
des pogroms est chose décidée au moment où le regard d'un animal
blessé à mort rencontre un homme. L'obstination avec laquelle
celui-ci repousse ce regard : « ce n'est qu'un animal »
réapparaît irrésistiblement dans les cruautés commises sur les
hommes dont les auteurs doivent constamment se confirmer à eux-mêmes
que ce n'est qu'un animal, car même devant un animal, ils ne
pouvaient le croire entièrement. (…) Auschwitz
commence quand quelqu'un regarde un abattoir et pense : ce ne
sont que des animaux. »
(p.6).
A
noter que l'auteur de cette réflexion est un grand esprit,
sociologue, philosophe, compositeur et musicologue, puisqu'il s'agit
de Theodor W. Adorno. On peut donc lui accorder un certain crédit,
en tout cas plus qu'à tous les lobbys avérés pro-viande et à leur
communication payée à grands frais par le consommateur.
Le ton est également donné par
les chiffres qui informent sur l'ampleur des massacres silencieux (le
pire se déroulerait en mer, avec une pêche effrénée), invisibles
et pourtant aussi massifs que quotidiens : plus de 10 millions
d'animaux sont utilisés, rien qu'en Europe, comme « matériel
scientifique » pour tester produits cosmétiques, ménagers et
médicaux. La maltraitance peut prendre d'autres formes, en apparence
moins « sauvages», et pourtant... comme l'abandon constant et
effarant de 100 000 chiens et chats, en France, chaque année, avec
ce que cela suppose de prise en charge par des bénévoles, des dons,
bref des actions toujours et dramatiquement que réparatrices d'un
système sachant faire si peu autre chose que casser. Le pire
provient de notre régime alimentaire excessivement carné et donc de
l'élevage industriel intensif, de plus en plus intensif et fou,
déconnecté tant des besoins réels des humains que ceux servant de
chair à ingurgiter. Là encore, la logique est implacable :
à partir du moment où l'humain se déconnecte de la Nature en
(sur)vivant dans des villes, souvent dans des édifices à étages,
il est peu étonnant que le même régime soit réservé aux animaux
chargés de le sustenter, privés eux aussi de la moindre
litière, du moindre contact avec l'air frais.
Du « chien-chien à sa
mémère » à rien : images interdites
Une
fois le ton donné, on s'attache dans un premier temps à comprendre
pourquoi désobéir pour les animaux. Où il s'agit d'en finir avec
la « schizophrénie morale » distinguant animaux de
compagnie et animaux de boucherie. Où il s'agit aussi de prendre
acte des avancées scientifiques qui, grâce à l'éthologie et à de
grands noms comme Boris Cyrulnik
(http://www.psychologies.com/Planete/Les-animaux-et-nous/Articles-et-Dossiers/Les-animaux-nous-aident-a-nous-redefinir;
http://www.seuil.com/livre-9782021101911.htm
;
http://www.huffingtonpost.fr/2013/10/24/24-intellectuels-changement-statut-juridique-animal_n_4149765.html),
sous le terme de « sentience », démentent nos préjugés
dominateurs : oui, les autres animaux sont doués de
sensibilité, aptes à l'art, à la culture, insérés dans des
dynamiques politiques. Où cet éclairage scientifique
anti-négationniste confirme ce qui serait par ailleurs dans notre
intérêt du point de vue de la santé : manger moins de viande
et plus diversifié. Bref, les raisons ne manquent pas pour justifier
le combat.
Des figures inspirantes pas
si minoritaires que ça
Dans un second temps, on survole
l'histoire de la désobéissance pro-animaux. Utile et nécessaire
mise en perspective qui aide à prendre conscience de l'horreur du
carnage dénoncé mais de son possible arrêt car les conceptions qui
sous-tendent ces pratiques apparaissent relatives dans le temps et à
la surface du globe. En effet, dès l'Antiquité gréco-romaine, des
philosophes prônaient un régime végétarien ou à dominante
végétarienne qui était alors le lot commun des gladiateurs, pas
des mauviettes donc. Faut-il aussi rappeler que les trois
religions monothéistes n'ont pas -ou ne devraient pas- avoir le
monopole du paysage religieux, encore moins sprirituel, et que
l'hindouisme se distingue par un positionnement différent au regard
des animaux ?
Au
fil des siècles, en traversant des frontières elles bien humaines,
on s'aperçoit ainsi de la relativité de ce qui nous est, comme par
hasard, présenté comme immuable, universel, indiscutable. On puise
de la force tant chez Edith Piaf qui avait en son temps soutenu une
pétition pour un « abattage humanitaire » (vieille et
sordide question toujours honteusement non réglée) que chez cette
adolescente à l'origine d'une collecte de signatures contre la
dissection au collège, autre geste routinisé et non moins hérétique
pour une matière intitulée « Sciences de le vie de la
Terre »... On
mesure au passage comme il y a aussi, dans cette drôle de République
(mais après tout aucun régime politique réel par opposition à un
idéal n'est à l'abri de contradictions),
deux poids deux mesures, une différence de traitement dont la
liberté de conscience fait les frais. En
effet, quid, en particulier à l'école, pour les végétariens ou,
plus loin, pour les adeptes du véganisme ? Le silence est assez
sidéral et impose à ceux qui dérogeraient de la violence, celle
d'avoir de la viande sous le nez ou de savoir que leur portion va
alimenter le gâchis ambiant. Mais
il est vrai, aussi, que végétariens ou véganiens font sans doute
moins peur que d'autres, donc ils peinent à se faire entendre, comme
on dit à « s'imposer sur l'agenda politique ».
A bas l'apathie, en avant
pour le combat !
C'est exactement de cela qu'il
s'agit, prendre, donner la parole en faveur des animaux, donc d'une
pensée autre, dans la 3ème partie intitulée « Agir ».
On y trouvera d'abord le moyen de se (ré)conforter et de sortir du
vertige qui peut prendre, brutal, en découvrant l'étendue de
l'hécatombe sans nom. Car les animaux sont à bien y réfléchir
partout, et souvent utilisés bien sûr à leur corps défendant.
Sans être adepte de fourrure, on ne peut ainsi nier que la majorité
des chaussures sont par exemple en... cuir. Idem pour les sacs à
main, les ceintures... D'un autre côté, cela donne du pain à la
planche pour imaginer des alternatives qui sont d'ailleurs en bon
chemin grâce à des matériaux que l'on souhaiterait distincts,
aussi, du plastic car ce n'est pas très cohérent, écolo-compatible.
Dur, dur de sortir des cercles vicieux quand on s'y est mis...
Plusieurs pistes
s'ouvrent donc à qui voudrait s'investir dans cette noble lutte :
rendre visible la souffrance car elle ne tient que par son opacité ;
occuper la rue ; libérer des animaux pour les arracher à leur
sort et faire respecter la loi car des lois existent déjà ;
faire obstruction, par exemple en empêchant la tenue de battues dans
des chasses d'un autre âge; soutenir les associations qui militent
pour l'évolution du statut juridique de l'animal car ce front n'est
absolument pas à négliger... tout comme celui du pouvoir en tant
que citoyen-consommateur à même de boycotter tel ou tel produit, ou
au contraire de privilégier celui-ci au détriment de celui-là
(foie gras versus terrine végétale, pourquoi pas?).
Enfin, des ressources
bibliographiques sont à disposition dans le dernier volet, sachant
que les nombreuses notes en bas de pages informent déjà
copieusement à ce sujet. Liens vers des revues scientifiques, des
films, documentaires, chansons, sites web, associations et
collectifs... tout est à disposition pour que chacun trouve sa juste
place, que ce soit les humains dans une noble cause ou les êtres
vivants, plus généralement, dans un monde meilleur, plus à notre
réelle et profonde hauteur.
+ d'infos
-
Approfondissements conseillés grâce au pack désobéissance,
pourquoi s'en priver ?:
http://lepassagerclandestin.fr/catalogue/paniers-thematiques/panier-desobeissance.html
-
Eveil à poursuivre en guettant les sorties de ces éditions
décidément enragées, dans le bon sens du terme :
http://lepassagerclandestin.fr/catalogue/a-paraitre.html
- Piqûre de rappel sur le sujet et critique d'un autre
ouvrage de ces éditions sur le site de LocoBio : voir les
chroniques 61 et 65.
+ de baume au coeur
Et pour finir tout à fait, que ces deux pensées nous
accompagnent :
« Ceux
qui luttent ne sont pas sûrs de gagner mais ceux qui ne luttent pas
ont déjà perdu » (site
internet des Désobéissants)
« L'idée
du calme est dans un chat assis »
(Jules Renard, ça ne s'invente pas!)
Parce qu'eux... c'est nous.
©Yolaine de LocoBio
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