Pralines,
safran et volupté
Le Petit
Robert d'après l'Apocalypse dont on ne parle plus puisqu'elle est
déjà là, soit celui de 2013, définit ainsi le bénévolat :
« situation d'une personne qui accomplit un travail
gratuitement sans y être obligée ». Merveilleuse réalité.
On est chez les
Bisounours ? Réalité encore plus merveilleuse au lire du
dossier publié cette semaine par l'hebdomadaire savoyard La Vie
Nouvelle sur le sujet: « Bénévoles ; ils assurent la
fête ». C'est cool. On est pour de bon chez les Bisounours. Je
sais pas où on est, mais en tout cas y'a plein de gens qu'on rien
d'autre à faire que de bosser à ouf ! Ils sont rentiers ou
quoi ? Ils sont pas au courant qu'c'est la crise et qu'faut
dare-dare trouver un vrai taf, s'la jouer perso ? Non mais je
rêve !
Et tout ça
fonctionne bien. C'est une mécanique vraiment bien huilée... mais
comment et pourquoi au juste ? Comment : par ce que les
sociologues appellent les « rétributions symboliques ».
En clair, vous êtes bénévoles alors vous forcez le respect. Enfin
quelqu'un de dévoué dans ce monde de brutes. On vous parle
doucement. On vous remercie chaleureusement. Peut-être même que
vous aurez droit à une jolie médaille. Mais à la fin seulement, la
médaille ; pas tout de suite. Après des décennies de loyauté
et d'abnégation. Il y a aussi les su-sucres bien matériels, eux, du
genre assister aux concerts sans payer -heureusement- à ce cher
festival ni local ni écologique qu'est Musilac, à Aix-les-Bains.
Des su-sucres qui ne coûtent pas bien cher aux organisateurs si on
les met en regard du nombre d'invitations distribuées et surtout si
on constate le boulot colossal abattu par les bénévoles
(préparation en amont, accueil du public et des artistes,
surveillance des lieux et secours, la liste est assurément longue).
Car c'est du
vrai boulot. Les organisateurs de festivals et d'évènements en
tout genre le savent très bien. D'ailleurs tout le monde le sait
très bien. Les premiers concernés, les soutiers enchantés de ces
jeux modernes, eux, le savent plus ou moins nettement. Souvent, ils
s'en moquent car ils sont au-dessus ou en-dessous de cela, dans un
monde en tout cas parallèle où priment la générosité et
l'engagement. Car le bénévolat n'est pas rationnel : il se vit
et d'ailleurs beaucoup se sentent plus vivants grâce à lui.
Demandez à un psy : en cas de déprime, prendre un animal ou
faire du bénévolat, c'est ce qu'il vous conseillera ; c'est
tout dire. Donc en général, ils s'y retrouvent. Sauf bien sûr
quand on a trop tiré sur la corde et q'ils jettent l'éponge après
quelques années, ce qui explique d'ailleurs en partie le turn over,
le manque de structuration et la fragilité de bien des associations.
Trop, c'est parfois trop. Mais ce n'est pas grave : il y aura
toujours des bénévoles, une troupe fraiche prenant le relais d'une
troupe usée et ainsi de suite. C'est d'autant moins grave que le
bénévolat est de plus en plus proposé aux jeunes et moins jeunes
sur le carreau de feu l'emploi. Car il constitue une expérience
ensuite valorisable professionnellement. Tout y est : les
alouettes et le miroir. Il ne reste plus qu'à les manager à défaut
de les ménager.
Et tout est
géré au mieux par les organisateurs, eux souvent salariés sans
forcément d'excès d'ailleurs ; lesquels organisateurs se
retrouvent de fait employeurs... de bénévoles. Vous suivez ?
Si vous ne suivez pas, c'est plutôt bon signe car c'est assez
glauque comme logique. Mais ça fonctionne et ça gère des énergies
parfois béates de manière optimale. Car c'est une question de
gestion. Si, si, il faut arrêter de raconter des histoires. Le
premier réflexe n'est-il pas, lorsqu'il s'agit de « monter
quelque chose » et que les moyens manquent, de lister les
besoins et de chercher de la ressource en externalisant en direction
des bénévoles ? Le cynisme est de mise, comptant
froidement sur les qualités humaines et le désarroi de certains.
C'est
lamentable. Surtout si l'on considère le rôle proprement économique
de ces acteurs. Car non ils n'offrent pas que des sourires et du
lien social, ce qui est déjà beaucoup comparé à l'économie
dominante: ils permettent la production de richesses. Or c'est la
définition première vous savez de quoi ? Du travail !
Dans notre belle région par exemple, avec les Rencontres Musicales,
les Musilac, les Rencontres Brel, les chantiers Concordia, ils sont
pour beaucoup dans la dynamique économique de l'été. Car les
festivaliers et travailleurs de chantiers mangent, figurez-vous,
doivent se loger, consomment sur place et emportent des souvenirs. Et
là, on est dans l'économie dite réelle, celle de l'argent généré
par toutes ces activités dépendantes du bénévolat. Les
commerçants le savent bien, eux aussi. Quant aux politiques, ils ne
peuvent pas feindre d'ignorer tout ce que ce petit fonctionnement
quasi magique rapporte. Ils sont opportunistes comme les autres. Les
revues des différentes collectivités publiques ne manquent
d'ailleurs pas de mettre en avant les festivals comme éléments
supplémentaires dans la fameuse « attractivité du
territoire ».
Donc tout le
monde sait très bien à propos du bénévolat. C'est lamentable et
c'est incroyable. Mon propos n'est toutefois pas d'inciter à se
désengager, ce qui serait, vous en conviendrez, assez surprenant
sous ma plume. D'ailleurs, la Croix Rouge recherche pas moins d'un
responsable départemental du développement et des ressources, un
coordinateur départemental des plans d'urgence, un responsable
départemental adjoint aux activités sociales (qui ne manquent pas),
etc... Voir évidemment leur site pour plus d'infos et candidater. Si
c'est pas faire appel à du temps et à des compétences
ultra-professionnelles, ça.
Non, ma
réflexion est plutôt une invite à d'abord sortir de la
clandestinité et du mensonge. Le bénévolat est bel est bien
central pour l'économie. Il l'est même pour la politique au sens
premier de vie de la Cité. Il faudrait ensuite tirer les conclusions
de cette reconnaissance, ne pas s'y borner à coups de
pass-concerts ou de petites médailles. Alors,
quel statut pour les bénévoles ? Je veux dire un vrai
statut, pas qu'une histoire de vague papier signé pour se couvrir
côté assurance en cas de pépin. Quel statut ? Je veux dire
quel deal gagnant-gagnant avec les bénéficiaires de services
bénévoles, dont la société dans son ensemble? Quel
échange de bons procédés du style transports en commun
partiellement gratuits, accès aux piscines et autres équipements
collectifs, bons pour une alimentation locale et bio ? Toute
une économie, la vraie, celle de demain déjà aujourd'hui, reste à
inventer. C'est flippant et tout à fait enthousiasmant. Et les
politiques ont en la matière une fois de plus une large
responsabilité : celle d'arrêter le cynisme, l'arrosage de
chrysanthèmes et d'impulser réflexion et expérimentations.
Sinon,
sinon... ce qui guette, c'est de poursuivre sur la voie déjantée
d'une économie aussi désarticulée que désarticulante. Le
risque, c'est de se retrouver comme le héros du dernier livre
d'Eric-Emmanuel Schmitt -écrivain à succès et ancien professeur de
philosophie à Chambéry- Les dix enfants que madame Ming n'a
jamais eus, dont je ne saurais que trop vous recommander la
lecture cet été. Le risque, c'est de se retrouver comme lui, scène
effrayante et si juste pourtant : « Le lendemain, on me
conduisit à l'usine Pearl River Plastic Production que le directeur,
flanqué des deux vendeurs dont j'épuisais la patience, tenait à me
faire visiter.
Dans
d'immenses hangars -quatre murs et un toit, architecture minimale-,
des centaines d'employés fabriquaient les jouets en silence. D'un
bâtiment à l'autre, la répartition des tâches reproduisait le
sexisme de nos sociétés : les mâles manipulaient les
voitures, les femelles les poupées.
L'atelier des
poupons, celui où avait officié madame Ming, m'impressionna.
D'amples bennes grillagées convoyaient des membres roses,
identiques, classés : la caisse des têtes, la caisse des
torses, la caisse des bras droits, la caisse des bras gauches, celle
des jambes droites, celle des jambes gauches. Déversés brutalement,
des fragments anatomiques partaient sur des tapis roulants puis
étaient saisis par les ouvrières pour de brèves soudures afin de
terminer, à l'extrémité de la manufacture, assemblés en
baigneurs.
On aurait dit
un abattoir à l'envers, où les êtres arrivaient morcelés et
ressortaient entiers.
Mille bébés
naissaient ici chaque jour. Parce que les femmes portaient un écran
de papier sur le visage, des charlottes bleues autour des cheveux,
elles semblaient des infirmières mettant des enfants au monde.
Etranges nurses, précises, lestes, sans états d'âme, qui
accrochaient une tête à un torse décapité, articulaient des bras,
vissaient des jambes, rejetaient à la poubelle un pied bancal ou un
crâne fendu, tiraient sur les carcasses pour tester leur solidité,
jusqu'à ce qu'elles présentassent un ravissant nourrisson nu à
l'infirmière-chef, laquelle, en bout de chaîne, contrôlait sa
viabilité. De preste mains de couturières habillaient les élus de
culottes, de pyjamas, de salopettes, avant de les agglutiner dans une
caisse. Pour qu'on se crût en une maternité, il manquait la
criaillerie, les gloussements, la liesse, les compliments, les
rires ; on n'entendait que les machines.
Près de
l'issue, j'observais les corps entassés : ils évoquaient tant
des individus réels que leur promiscuité me choquait. Leur
similitude aussi me pétrifiait. Lequel choisir ? Pour lequel
opter ? Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? Pendant
cette méditation, j'eus le malheur de contempler l'usine d'une façon
panoramique : les ouvrières asiatiques, masquées, chapeautées,
affublées de blouses turquoises, se ressemblaient ! Je
frissonnai... Quoi ? C'était cela notre condition ? Nous
nous croyons rares alors que nous provenons du même moule ?
Pareils, y compris par la prétention d'être uniques...
Afin de me
détacher de ces considérations sinistres, je m'ébrouai, accomplis
quelques pas, allai effleurer les poupons. Si, aujourd'hui, ils
restaient interchangeables, demain, dès qu'ils seraient adoptés par
un enfant, ils se différencieraient, remplis d'amour, tatoués d'une
histoire, marqués par les expériences. C'est l'imagination qui
singularise, l'imagination qui arrache à la banalité, à la
répétition, à l'uniformité. Dans le destin des jouets, je
repérais celui des hommes : seule l'imagination, produisant des
fictions et forgeant des liens rêvés, crée des originaux ;
sans elle, nous serions proches, trop proches, analogues, aplatis les
uns sur les autres dans les bennes de la réalité. »
Les
bennes de la réalité... Voilà où officient les bénévoles et les
auteurs, souvent bénévoles à leur corps défendant.
D'ailleurs, en parlant d'auteur et de réflexion sur les corps
économiques et physiques, donc dans l'esprit d'Eric-Emmanuel
Schmitt, je ne saurais aussi que trop vous recommander la lecture -si
ce n'est déjà fait- du roman made in Rhône-Alpes d'Elena Varécy,
Tes mains sur mes hanches.
Vous pouvez le commander sur
http://www.elena-varecy.com/Le_roman.html ou bien vous le procurer
en Biocoops ou en librairies indépendantes telle Le Bois d'Amarante.
Poursuivez
en dégustant un recueil de poésie publié par les Editions La Passe
du Vent,
à Vénissieux. Pourquoi pas celui d'Emmanuel Merle, d'Antoine
Choplin ou le plus récent de Robert Piccamiglio si joliment intitulé
Mille plaines mille bateaux ?
Lui aussi peut être commandé sur
http://www.lapasseduvent.com/Mille-plaines-mille-bateaux.html#livre555.
Poursuivez
mais poursuivez donc votre repos du bénévole ou de l'énervé (ou
les deux) en dégustant une praline de noisette, de noix ou de graine
de tournesol.
Enfin une praline... je veux dire un paquet de pralines fabriquées
si près, aux Echelles, et avec le label Nature et Progrès s'il vous
plait ! Le contact est Christine
MIGUET à
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.
L'idéal
serait de vous accorder encore un peu de temps, je veux dire du temps
pour vous car être bénévole de soi-même n'est pas mal aussi.
Alors, alors... votre vélo
(http://onroulevert.parc-chartreuse.net/accueil-ca-roule-en-chartreuse.html)
vous
emmènera peut-être jusqu'à
une table d'hôtes super à Saint-Hugues de Chartreuse.
Là, vous dégusterez un menu unique, avec ou sans viande, mais en
tout cas à la qualité indiscutable et au prix très correct. Ce
menu comportera des plats mitonnés avec les légumes et fruits du
jardin, d'autres ingrédients comme le fromage issus du coin ou du
pain fait maison avec de la farine bio achetée à la Motte-Servolex.
Dans ce menu, vous dégusterez surtout à chaque étape une
déclinaison de plats safranés puisque le maitre des lieux,
accompagnateur de montagne, est aussi safranier. Allez y faire un
tour, déjà par le Net http://www.brevardiere.fr;
http://www.safrancham.fr)
et ensuite pour de vrai.
De
la sorte, l'été devrait bien se passer. Et c'est ce que je vous
souhaite, toute de pralines apaisée.
© Yolaine
de LocoBio
8
août 2012
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