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Chronique 37
18-01-2011

Pour une écologie politique progressiste



 
Je vous adresse comme il est d’usage mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. J’ose vous souhaiter d’être heureux.
 
Etre heureux ? Incroyable !
 
Eh oui, on peut avoir une sensibilité écologiste et souhaiter, aspirer au bonheur. Non mais je dis ça… pour certains, cela semble évident. Mais si j’évoque ce sujet, c’est parce qu’il me titille depuis un certain temps et que justement, il me semble de moins en moins évident. Même si le service public a, ce jour-là, offert une tribune à des propos bien étranges, je remercie France Inter d’avoir invité fin novembre 2010 le philosophe André Comte-Sponville. Celui-ci venait faire la promo d’un livre que je me garderais bien de promouvoir à mon tour tant il n’en a certainement pas besoin et tant ce que j’ai entendu ce jour-là m’a choquée. Bien à l’abri de ses diverses fonctions et de sa notoriété, le philosophe en question montait au créneau dans un même élan contre le « diktat du bonheur » et la société de consommation. C’est très à la mode de critiquer l’aspiration au bonheur ; et il faut dire que les excès manifestes du consumérisme incitent effectivement à remettre certaines pendules à l’heure. Mais il y a tout de même des limites.
Comment ne pas réagir lorsque réapparaît l’argument choc, surtout chez un esprit éclairé, que « la richesse ne fait pas le bonheur » ? Et le même philosophe de nous saouler avec un raisonnement aussi vicié que vicieux selon lequel :
  1. il n’y aurait pas de corrélation entre le fait d’être riche et le fait d’être heureux. Car de toute façon, « on n’en aura jamais assez ».
  2. le niveau de bonheur dépendant du fait d’être plus riche que son voisin, l’escalade et la frustration sont permanentes.

Rechercher les satisfactionsmatérielles et le bonheur semblait donc bien vulgaire à ce personnage que le journaliste aurait été bien inspiré de couper net dans ses propos plutôt qued’abonder dans un sens finalement très régressif au plan social. Car l’apologie du dénuement par un nanti fait objectivement le lit du capitalisme sauvage,d’une société qui laisse défaire petit à petit l’Etat-Providence. Bien sûr que le bonheur ne se confond pas avec le matériel, on n’est pas crétin pour croire ça , mais alors pourquoi a-t-on créé la Sécurité Sociale ? Pour que tout le monde puisse se soigner. Car nous sommes des êtres de chair et de sang ; ça, c’est une donnée trèsmatérielle avec laquelle il faut composer. Et se soigner, ce n’est pas du matériel comme le téléphone portable dernière génération. Se soigner, c’estimportant, c’est vital. Des utopistes pourtant très raisonnables et aujourd’hui encensés (quoique trop oubliés) se sont même battus pour que cela devienne undroit. Lire d’urgence Indignez-vous ! de Stéphane Hessel et relire dans la foulée le programme du Conseil National de la Résistance.

 

Si je réagis, c’est parce que j’entends régulièrement des discours décroissants qui se situent aussi dans cette apologie du dénuement. Comme si le rien était une garantie de nirvana vert ; comme si le dolorisme était en soi vertueux. Et ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu’ils deviennent ainsi totalement réactionnaires ; ce dont les libéraux forcenés ne peuvent que se réjouir. Comme si le combat n’était pas assezdifficile : pas besoin de rajouter de l’eau trouble à un moulin qui marche déjà à plein. Et surtout ne pas confondre des choix personnels avec des options politiques.

 

Non, vraiment, les propos d’André Compte-Sponville n’ont rien de libérateurs. Ils sont désolants. J’en ai assez de toute cette culpabilisation autour du bonheur, de sa recherche. J’en ai assez de toutes ces confusions mentales. J’en ai assez de toutes ces autorités intellectuelles qui nous assomment de « corrélations sociologiques » et méprisent les enseignements de la sociologie. La pauvreté est pourtant un thème très documenté. Je me permettrais à ce titre de citer un court paragraphe, extrait de Vivre heureux – Psychologie du bonheur, du Docteur Christophe André :« « L’argent ne fait pas le bonheur », dit le proverbe.« Mais il y contribue », a-t-on coutume d’ajouter. Les scientifiques ont étudié la question : il semble en fait que l’argent augmente le bonheur des plus pauvres, jusqu’à un certain seuil, selon ce que l’on nomme en effet « plateau » (…). La misère matérielle pose de nombreux obstacles au bonheur, et il apparaît qu’il existe l’équivalent d’un SMIB (Seuil Minimum d’Induction du Bonheur), en dessous duquel les choses sont bien compliquées. Atteindre ce seuil n’offre pas le bonheur, mais se trouver en dessous l’empêche le plus souvent » (pp.92-93 de l’édition de poche 2004 chezOdile Jacob).

 

Ce constat général est d’ailleurs confirmé par de nombreux témoignages. J’en veux pour preuve celui d’un couple, même pas quarante ans et  trois enfants, dans l’article de Télérama intitulé fort à propos « Survivre, ce n’est pas une vie » (n°3176 du 24 novembre 2010). Une série de tuiles ; ils sont restés sur le carreau, sont devenus précaires et pauvres. Plutôt que de végéter en ville, ils se sont mis à l’écart à la campagne et « essaient au maximum de vivre en autarcie » (p.24). La campagne, c’est bien, j’en suis persuadée ; l’autarcie, c’est super, on la défend assez à LocoBio. Mais bon. Il ne faut pas être dupe. Dans ce cas et comme dans bien d’autres, ce sont des solutions de repli qui s’apparentent plutôt à la stratégie du gros dos par temps de tempête. Ce n’est absolument pas un choix.Il ne faut pas tout confondre et laisser tout confondre. Je ne vois aucunintérêt à avoir pour horizon politique l’ascétisme douteux d’un Bossuet :« On ne peut se rendre maître des choses en les possédant toutes ; il faut s’en rendre le maître en les méprisant toutes ». Si le jeu de mots est indéniablement brillant, il s’agit là d’une coquetterie intellectuelle qui peut être fatale au progressisme social et à l’écologie. Les gens deviendront bien décroissants par choix et par éducation, c’est-à-dire s’ils ont des moyens matériels alternatifs à leur disposition et si on leur explique pourquoi tel moyen est meilleur qu’un autre (couche jetable contre couche lavable par exemple). Mettre au point ces moyens alternatifs, les commercialiser à grande échelle et éduquer, cela requiert bien de l’argent et même beaucoup. Il ne faut pas (se) raconter d’histoires. Ou alors, les gens ne deviendront pas décroissants et rien ne changera. Ce serait dommage que non seulement on rate le coche de l’écologie mais qu’en plus on régresse socialement. Sur ces notes très « Abbé Pierre » que j’assume, je vous salue et vous renouvelle tous mes meilleurs vœux de bonheur pour 2011.

 

 

©Yolaine de LocoBio

Janvier 2011

 
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