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Cogitations et actions
Chronique 31
29-06-2010
Un peu de lecture (saine) pour les vacances…

 
Le mieux, quand on a la LocoBio attitude, c’est –vous l’avez maintenant compris- de rester chez soi ou d’aller pas trop loin. Car au moins vos déplacements ne polluent pas. Et le mieux du mieux, donc le must, c’est de s’atteler à comprendre ce qui se passe autour de vous, dans quel système glauque vous êtes embarqués, pour essayer d’avoir prise, de changer juste un truc si vous pouvez changer juste un truc. Remarque, si ce truc, c’est votre vie, ça vaut peut-être la peine.
Voici donc le programme de vos vacances : « ascèse et herméneutique », comme disait l’un de mes professeurs de science politique. C’est-à-dire s’enfermer pour comprendre. Eh oui, je sais, c’est pas drôle. On sait bien que le « bio », c’est pas « drôle ». Alors quand en plus on rajoute le « local », bonjour les contraintes. Naturellement, je plaisante et je provoque, histoire de ne garder que les plus motivés. C’est un truc de sélectionneur de foot et, ma foi, cela semble assez efficace. Enfin surtout pour l’équipe de France.

 

Donc, les vacances. Les voici, les voilà. Nous y sommes. Les sacro-saintes vacances. Pas pour tous. Mettons que seulement 1% de ceux qui partent en vacances lisent cet été le dernier livre de Florence Aubenas. Qu’est-ce que ça va changer ? Probablement rien. Qu’est-ce que ça pourrait changer ? Certainement tout. Je rêve que ce livre bourgeonne dans les glacières, sur les aires d’autoroute. Je rêve qu’entre un petit pipi et un café –ah, et puis aussi un plein d’essence-, il pave le bitume de bonnes intentions. Je rêve qu’entre un clébard au mieux abandonné à la SPA, Mémé larguée dans les orties de saison, les couches jetables du petit dernier et 3-4 disputes à propos du meilleur chemin, ce livre explose tous les pare-brise surchauffés. En un mot, c’est vrai, je rêve que toute cette mécanique à l’huile de coco vole en éclats. Je rêve que ce que raconte Aubenas aide à franchir le pas.

 

De quoi s’agit-il ? D’un bouquin, Le Quai de Ouistreham, sorti cette année. Que raconte-t-il ? Rien. Juste la France d’aujourd’hui, celle que l’on ne veut pas voir, celle que l’on veut encore moins montrer : la France de la précarité. Donc la France de demain, c’est certain. Car c’est tout un système économique déjà mort que dépeint la journaliste Florence Aubenas. Elle a testé pour vous en se faisant passer pour une femme d’environ 40 ans sans expérience professionnelle. Et elle a mis plusieurs mois, vraiment à un rythme de dingue, pour obtenir un CDI. Enfin, LE CDI en question : à peine quelques heures de ménage par semaine, à des horaires décalés, et loin de son domicile. Le top du top. C’était l’objectif de son enquête, décrocher ce CDI ; pas de sa vie. On l’a attaquée là-dessus : pas vu, pas pris, une enquête de plus et on en parle plus. Elle est rentrée à Paris. Soit. Et quand bien même ? Personne ne l’obligeait à s’intéresser à ce sujet, encore moins à s’immerger de la sorte pour nous renseigner.

 

Et sur quoi renseigne-t-elle ? Si vous saviez… Heureusement quel a un style et de la bienveillance. Je n’ai pas dit de la naïveté. C’est un vrai écrivain, une magicienne, d’écrire un tel livre sur un tel sujet. La précarité, c’est pas du tout sexy. Et pourtant, vous ne manquerez pas de sourire souvent tout en écarquillant vos yeux. Car ce qu’elle raconte est incroyable. On aimerait que ce ne soit pas notre monde. Si ce n’était de nous qu’il s’agissait, ce serait très drôle : Les temps modernes, mais le travail en moins. Souvenez-vous, Charlot. Il vissait des écrous à en devenir fou. C’était déjà pitoyable, cette déshumanisation. Eh bien là, c’est Charlot soit sans travail, qui visse ses écrous à vide, soit sans contrat pour manger et pas seulement visser les écrous de sa bagnole. Car les employeurs, même fugaces, tiennent beaucoup à ce que vous ayez une bagnole. Evidemment, ils ne paient ni l’essence ni le temps de trajet pour aller travailler. La « mobilité ».

 

Pas bio du tout, cette mobilité. D’ailleurs cet ouvrage est une grosse claque pour le « milieu du bio ». Bien sûr qu’il existe, ce milieu, celui de ceux qui savent et qui peuvent consommer bio. Pourquoi le nier ? C’est une bonne chose puisque c’est lui, avec des éléments de plus en plus divers, qui pourra sans doute mener le changement. Mais ce changement, il y a bien du chemin pour le réaliser. C’est ce qui ressort du bouquin d’Aubenas. On est à la fois si loin et si proche du bio. Si près du précipice, il faudrait tenter le pas. De fait, la situation est comme on dit « mûre » : cela fait bien longtemps que nous sommes dans le mur. Mais il va falloir encore beaucoup d’énergie pour changer les mentalités et les pratiques.

 

Qui, dans son bouquin, reçoit le colis du Secours Populaire et claque à côté son fric en téléphones portables ? Qui traîne dans les supermarchés au lieu de prendre gratuitement l’air ? Qui bouffe des sandwiches tout prêts « pour faire comme les gens dans les bureaux » et se moque d’Aubenas avec son sandwich fait maison ? Qui ? Tous ceux qu’elle a croisés. Incroyable. Désespérant. Seule une famille cultive encore son petit jardin et –CQFD- parvient à boucler le mois grâce à cela. Faut-il avoir atteint un haut degré d’aliénation pour en arriver là, à une telle inversion des valeurs et des comportements. Juste une famille qui cultive encore un petit jardin. Et pourtant, l’espoir est précisément là. Il faudrait que ça craque un bon coup, ou alors pas besoin de ce craque un bon coup et au moins une floraison de jardins partagés en ville.

 

On va me rétorquer : qui a le temps ? Pas le temps de jardiner ! D’accord. Le temps, parlons-en. Parlez-en à Aubenas. Elle en a passé du temps à se trimbaler d’un endroit à un autre. Tout ça pour quoi ? Le temps n’est pas « bio » : c’est un bien commun. Les « bios » n’ont pas plus le temps. Ils le prennent, ils ont fait le choix car c’est un bien précieux et ils n’acceptent pas qu’on leur vole. S’endetter pour une maison et ensuite acheter sa bouffe au discount, ça, pas question. Ils ont raison. Quoi d’égoïste dans cette posture ? Ils ont décroché au sens où ils ont fini de courir après les chimères qui hantent le quai, à Ouistreham.

Rassurez-vous : le propos d’Aubenas n’est pas ouvertement militant, encore moins dogmatique. On peut passer de très bonnes vacances en la lisant. Mais cela ne m’empêchera pas, moi, d’y voir une nouvelle fois la nécessité d’une réelle solidarité entre les « bios » et les « pas bios ». Ne rêvons plus : nous sommes tous « out » puisque le système est HS. Alors plutôt que se mépriser ou s’ignorer, rapprochons-nous !

« C’était l’Internationale LocoBio de l’été 2010. Les programmes peuvent reprendre. »

 

 

 

© Yolaine de LocoBio 

29 juin 2010

 

 
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